Texte rédigé dans le cadre d'une carte blanche du Pole Art et Culture Aussillon. Merci pour leur confiance.
Comment j'ai aimé cette forêt : La Balme
6 ha, taillis vieillis (60 ans), avec réserves ponctuelles et accrus : châtaignier, frêne, chêne, hêtre.
Entre 450 et 550 m d’altitude, pluviosité autour de 1600 mm/an. Sol acide sur gneiss, moyennement profond à profond, Sablo-limoneux.
Pente moyenne à forte, orientation Sud.
La première fois que je suis venu sur la forêt de la ferme La Balme, en décembre 2017, c’était pour couper, juste choisir des arbres qui seraient utiles pour la maison de Laurent et couper. L’acte n’était pas dépourvu de sens puisque la charpente qu’a montée Sylvain est vraiment belle.
Mais la forêt était en bordel, et les châtaigniers majoritaires, pas en bonne santé. Cette première rencontre n’était pas ce que l’on peut appeler un coup de foudre. Et les coupes d’une fois ne me font jamais vibrer.
Mais cette prestation, aussi succincte fût-elle, m’a simplement permis de faire connaissance avec cette parcelle plein sud, avec cette vue superbe et j’ai pénétré le territoire de cette ferme. Pas que les propriétaires soient hostiles, au contraire, mais l’occasion ne s’était jamais présentée jusque-là. Ils sont deux frangins, Laurent et François, épaulés par leur père Jacques et leur tante Yvonne, encore dans les parages. Des gens que je savais bienveillants mais que je ne connaissais peu à l’époque.
Comme ce n’est pas loin d’où j’habite, je suis revenu plusieurs fois le voir, ce petit bout de forêt.
Car ce qui m’intéresse dans une forêt, c’est le long terme.
Puis j’ai vu la zone en pente de hêtraie pure, qui mériterait que jamais les humains ne viennent y couper du bois.
Puis j’ai vu les chênes, des apprentis géants magnifiques, et alors j’ai compris.
J’ai compris qu’étant arrivé par en haut, j’avais arpenté la partie la plus maigre, là où les frênes ont trop chaud et les châtaigniers ont trop faim. J’ai compris le déséquilibre provoqué par l’ancienne gestion en taillis (*coupe à blanc des feuillus tous les 30 ans). J’ai compris que les chênes, quand ils avaient pu survivre la compétition des deux autres essences, constituaient l’avenir de cette parcelle, que l’humain intervienne ou pas. Les chênes sont lents, mais ils sont costauds et cette parcelle est leur territoire naturel.
Les châtaigniers et les frênes sont en bout de courses et les chênes ont de longues années devant eux… si les hêtres ne viennent pas s’immiscer dans leur prise de pouvoir.
Alors j’ai compris la place que je pourrais avoir à accompagner de coups de tronçonneuse le déclin des premiers pour encourager l’épanouissement des seconds. Ce travail serait lent, progressif et peu rentable mais l’intermédiaire à trouver entre « processus naturel » et « prélèvement humain » me passionne déjà.
Un autre jour, plus tard, j’ai regardé une vue aérienne et j’ai compris comment « prendre » cette parcelle, comment y accéder.
Chaque forêt à gérer a ses points forts et ses faiblesses, je commence par les points noirs, qui me gênaient pour mettre en place la gestion forestière telle que j’aime la pratiquer :
1. - Les accès sont difficiles, il fallait une mini-pelle mécanique pour arranger et relier les embryons de piste existants.
2. - Il fallait comprendre comment trouver ma place dans le silence des frères paysans.
3. - Il me fallait trouver comment commercialiser ce que j’allais couper, qui allait conditionner ma rémunération. Parce qu’aucun des membres de la famille n’a de grosse utilisation de bois de chauffage, qui va constituer la majeure proportion des premières coupes.
Mais les avantages étaient là :
1. - Il y a de très beaux chênes, de très bons hêtres et l’endroit est productif.
2. - La forêt n’est pas loin de chez moi.
3. - Je ne connais pas encore très bien les propriétaires mais je suis persuadé qu’il y a un respect mutuel, indispensable pour que l’on puisse travailler ensemble.
4. - Il y a une minipelle sur l’exploitation, et un conducteur !
Une saison de coupe a passé sans que rien ne passe. Il faut laisser le temps à la réflexion.
Puis cet hiver j’ai fait ce que je ne fais pas d’habitude, prudent bonhomme que je suis : J’ai foncé, tant pis, je résoudrai mes questions sur place.
Nous étions au mois de janvier 2020, mon père était occupé à nettoyer sa bergerie, le tracteur que je lui emprunte pour mes chantiers était donc libre, le soleil était annoncé pour la semaine, j’ai foncé.
Et tout s’est démêlé. Simplement, la tronçonneuse à la main.
François était disponible pour manier la mini-pelle les après-midi. Il est venu travailler en même temps que moi pour créer ces accès indispensables à l’exploitation de cette parcelle. Il était là, avec son imposante carcasse silencieuse, nous regardions ensemble le bazar de cette forêt, le travail à y faire, le sol que nous découvrions ensemble, pas si pauvre que cela. Les odeurs d’humus se mélangeaient avec celles de la terre retournée, le soleil annoncé était là, c’était vraiment un chouette chantier. Nos discussions étaient simples et calmes. J’étais heureux, dans les bois avec cet homme que j’apprenais à connaître.
J’ai compris que je pouvais trouver ma place comme gestionnaire de cette forêt, je crois bien que j’ai leur confiance.
Concernant la rentabilité, je suis allé couper un gros hêtre pour faire un peu de rendement. J’avais repéré cet arbre parce qu’il gênait un long chêne de son houppier gigantesque. Coup double : je sauvais un chêne et rééquilibrait ma rémunération.
L’accès que nous avons créé n’est pas aussi parfait que je l’imaginais mais il existe. L’immense bazar de cette forêt est désormais pénétrable. Les châtaigniers sont davantage malades que ce que je ne l’espérais. Il sera encore plus compliqué de leur trouver un débouché.
Cependant une bonne nouvelle est presque tombée du ciel avec le coup de fil de Christelle et Damien. Pour leur projet de maison, le couple avait besoin de petits châtaigniers qu’ils utiliseront entiers, leur seule exigence était qu’ils soient droits sur 4 mètres. Ils sont venus voir les arbres que j’avais coupé, je leur ai présenté comment je voyais cette forêt. Nous étions tous ravis. Les bouts de bois dont ils avaient besoin représentaient une faible partie du volume abattu mais symboliquement, trouver une utilité directe pour les bois que je coupe donne un réel sens à ce que je fais.
Et on l’aura compris, lorsque je connais et apprécie les gens pour qui je travaille, ma satisfaction est totale.
Alors voilà, en ce mois de janvier 2020, la tronçonneuse à la main, je suis tombé amoureux de cette forêt.
Il y aurait beaucoup de choses à faire dans cette communauté d’arbres, et je ne parle pas du travail formidable à prévoir sur les haies de la ferme, tant elles sont nombreuses et riches de diversité. Il n’y a qu’à voir l’enthousiasme de Laurent à planter des fruitiers de partout pour comprendre l’amplitude de l’enjeu.
J’aurais donc du travail pour toute une vie, et davantage. Mais je n’ai pas d’objectifs précis si ce n’est ne pas défoncer la forêt que j’aime et qui me fait vivre. Alors, cela durera le temps que ça durera mais je vais continuer à bâtir cette relation particulière entre la vie de la forêt, le besoin de bois et les humains qui y vivent et la traversent.